Avec Google Hire et Google for Jobs, le géant de la Silicon valley se place discrètement sur le marché du recrutement. Au point de bouleverser les règles du jeu ?
Google n’est pas prêt de stopper sa stratégie de diversification. Le groupe tente depuis quelques mois une offensive dans un nouveau secteur : le recrutement. Tout a commencé en avril 2017, avec la présentation de Google Hire, un outil qui selon Google, « aide à identifier les talents, à construire de solides relations avec les candidats et à gérer de manière efficace le processus des entretiens du début à la fin ». Google Hire prend la forme d’une plateforme synchronisée à G Suite. La solution regroupe des fonctions comme Gmail, Calendar ou encore Google Drive. Concrètement, toutes les parties prenantes au recrutement ont accès aux lettres de motivation et aux CV des candidats. Elles peuvent notamment discuter des questions à poser durant l’entretien puis échanger sur les impressions de chacun à la fin de celui-ci.
« Google Hire permet de raccourcir le processus de recrutement et permettre d’économiser de l’argent »
« Google Hire est un facteur de simplification puisqu’il permet d’utiliser le même outil pour prendre les rendez-vous, analyser les CV, partager les feedback. Ce qui aide potentiellement à raccourcir le processus de recrutement et in fine à économiser de l’argent », explique Laurent Brouat, directeur de Link Humans, société spécialisée dans la formation au recrutement et au sourcing. Ce gain de temps est d’ailleurs évoqué par Google qui, dans son document expliquant l’utilité de Google Hire, cite une étude de Deloitte selon qui un recrutement dure en moyenne 52 jours et coûte 4 000 dollars.
Pour le moment, l’accès à Google Hire n’est accessible qu’aux entreprises de moins de 1 000 salariés basées aux Etats-Unis et qui utilisent G Suite. Ces dernières devront s’acquitter de frais supplémentaires à leur abonnement G Suite. Le prix varie en fonction de la taille de l’entreprise. Pour celles de moins de 50 salariés, la licence annuelle coûte 2 400 dollars, le prix monte jusqu’à 12 000 dollars pour celles employant plus de 250 collaborateurs. Le prix n’est pas dégressif en fonction du nombre de recrutements réalisés.
« Google for Jobs est en mesure de proposer aux internautes des offres d’emploi qui correspondent à leurs compétences »
Mais sur le front de l’emploi, Google ne se limite pas à de simples logiciels au service d’organisation d’entretiens. En juin 2017, l’entreprise a également lancé une nouvelle offre : Google for Jobs, pour le moment uniquement disponible aux Etats-Unis, qui s’adresse aux candidats tout comme aux recruteurs. « Il s’agit d’un agrégateur d’annonces qui proviennent de plusieurs jobboards tels que LinkedIn, Glassdoor ou encore Facebook et Monster », observe Helen Poitevin, spécialiste de la digitalisation des RH chez Gartner. Google for Jobs prend la forme d’une fonction ajoutée à Google Search. « La solution utilise le machine learning pour proposer aux internautes des offres d’emploi correspondant à leurs compétences. Or en matière d’algorithmes de matching et de machine learning, Google est une vraie référence », complète la spécialiste. Les utilisateurs peuvent même régler certains paramètres (salaire, type de contrat, temps de transport…) pour recevoir des offres sur mesure. Il est même possible de programmer des alertes dans le cas de postes correspondant aux attentes des internautes. De leur côté, les recruteurs pourront créer des listings de candidats en utilisant eux aussi des mots-clés. Le tout sans débourser le moindre centime, Google comptant sur les publicités pour se rémunérer.
Pertinent pour les TPE et les PME ?
Pour Laurent Brouat, la stratégie de Google est pertinente et cohérente : « C’est très bien pensé. Ils sont présents sur toute la chaîne de valeur : du sourcing au process de recrutement. Potentiellement, les recrutements pourraient à moyen-terme se dérouler 100% sur Google ».
« Potentiellement, les recrutements pourraient à moyen-terme se faire à 100% sur Google »
De quoi donner des sueurs froides aux acteurs de la e-RH ? Pas sûr selon les deux experts interrogés par le JDN. Pour Helen Poitevin, la plupart d’entre eux n’ont pour le moment pas à s’inquiéter outre mesure : « Avec Google Hire et Google for Jobs, Google fait du Google. C’est à dire que le groupe Alphabet est dans une démarche test and learn, il n’a rien à perdre car il n’a pas affiché d’immenses ambitions. D’ailleurs il ne communique que très peu. Il ne dévoile pas de KPI et reste muet sur une extension de Google Hire ou de Google for Jobs à l’international. Actuellement, impossible de savoir si le succès est au rendez-vous ». En bref, le projet pourrait révolutionner le secteur du recrutement, mais aussi faire partie des nombreux « flops » que le mastodonte crée par Larry Page et Sergey Brin possède à son actif.
Selon Helen Poitevin, les incursions menées par Google Hire pourraient donc très bien se solder par un échec : « Sur le marché des grosses entreprises, Microsoft, Oracle, Talentsoft sont déjà très implantés et peuvent faire du sur mesure. Google Hire me semble pertinent pour les TPE et les PME qui ont de faibles volumes de recrutement. C’est bien, mais pas suffisant pour bouleverser l’équilibre du marché », relève la spécialiste de Gartner.
« Les agrégateurs présents sur le marché, comme Indeed ont du souci à se faire »
Une opinion que Laurent Brouat tient à nuancer : « Si l’on regarde les choses de manière pragmatique, qui recrute le plus ? Les TPE et les PME. Et au sein de ces entreprises, qui s’occupe du recrutement ? Le plus souvent les managers plus que le service RH. Et actuellement, les managers procèdent de manière artisanale avec Google Agenda et un tableau Excel ». D’après le spécialiste du sourcing, Google Hire permet de formaliser les processus de recrutement en utilisant des outils que les managers connaissent déjà. « J’ai suivi les démo, et l’impression que j’ai, c’est que Google Hire est collaboratif, simple d’utilisation et correspond aux besoins », témoigne Laurent Brouat, qui estime que la solution pourrait à terme concurrencer les petits ATS (Applicant tracking system), si elle se déploie dans le monde.
Concernant Google for Jobs, Laurent Brouat voit les choses différemment : « Ce n’est pas un jobboard stricto sensu mais plutôt un agrégateur des annonces sur les sites carrières qui a fait un gros travail sur la sémantique. Google for Jobs remonte les annonces pertinentes aux candidats et aux entreprises. Je ne vois pas le souci pour les sites de niche ou pour les acteurs du recrutement. En revanche, les agrégateurs présents sur le marché comme Indeed peuvent avoir du souci à se faire ». Ce n’est pas un hasard si Indeed ne fait pas partie du projet Google for Jobs…
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