Les levées de fonds se multiplient dans la e-RH française. Et d’après les fonds comme les business angels et les start-up, ce n’est que le début d’un mouvement de fond.
A croire qu’elles se sont donné le mot. Depuis le début de l’année 2016, les start-up de la scène e-RH française annoncent des levées de fonds de plusieurs millions d’euros. Dans le secteur des jobboards, Hopwork a levé 6 millions en décembre 2016 pour occuper une position de leader dans le recrutement de freelances. Un mois plus tard, c’est Qapa qui a frappé un grand coup en recueillant 11 millions afin de se placer parmi les poids lourds de l’intérim digital. Le e-learning semble aussi attirer les investisseurs qui ont misé 6 millions sur OpenClassrooms en septembre 2016 et 10 millions d’euros sur Coorpacademy un mois plus tard. Que se cache-il derrière tous ces mouvements ? Un effet de mode passager ou une tendance partie pour durer ?
Une tendance durable
D’après les spécialistes du secteur, c’est la seconde option qui semble l’emporter. « Le monde du travail est en pleine évolution, notamment du fait de la révolution digitale. Les emplois se cherchent différemment, les nouveaux modes de travail comme le télétravail ou les contrats de freelances entrent dans les mœurs, le management évolue, les compétences également », énumère Chantal Toulas directrice de Creadev, société d’investissement de la famille Mulliez. Selon elle, les start-up de e-RH vont de plus en plus occuper une place stratégique dans l’économie. Un avis partagé par Philippe Hayat, Managing Partner de Serena Capital : « Tout ce qui touche au monde du travail est lié à l’humain, à la gestion des talents, c’est-à-dire des éléments qui sont durables et qui ne peuvent pas devenir ringards ». De quoi aiguiser l’appétit des investisseurs…
Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH, l’association française des start-up de e-RH, est aux premières loges pour assister au mouvement. « Depuis le mois de septembre, de plus en plus de fonds d’investissement et de business angels nous contactent. Nous les aidons en organisant des petits déjeuners thématiques pour leur présenter nos pépites qu’il s’agisse du secteur de la formation, du recrutement ou encore de la qualité de vie au travail », se réjouit Jérémy Lamri. Et le travail semble porter ses fruits. De plus en plus de start-up se font accompagner par des investisseurs. « Sur nos 400 adhérents, 80 ont levé des fonds ces deux dernières années et le rythme s’accélère. Ce qui est intéressant, c’est de constater que même des entreprises très jeunes attirent les investisseurs », poursuit le responsable de l’association, qui considère le marché français comme particulièrement porteur.
« Sur les 400 adhérents du LabRH, 80 ont levé des fonds ces deux dernières années et le rythme s’accélère »
« Par rapport aux Etats-Unis, nous sommes un peu en retard dans le domaine du Big Data RH car la législation en matière de protection des données est plus stricte ici. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si Clustree, spécialiste des algorithmes RH, prépare son départ à New York pour la fin de l’année dans le but de changer de dimension ». En revanche, la France est en pointe en matière de jobboards et de e-learning. « Les plans de formation et la mise en place du compte personnel de formation en janvier 2015 ont contribué à dynamiser le secteur. Et les acteurs français sont particulièrement innovants au niveau technique », rappelle le cofondateur du Lab RH. En bref, le marché hexagonal est riche en jeunes pousses qui ne demandent qu’à se développer.
Un marché adapté à toutes les bourses
Mais plus précisément, quelles sont les éléments qui incitent les investisseurs à mettre la main au portefeuille ?
« Il est possible de faire de belles choses avec un ticket de 100 000 euros »
« Nous regardons la capacité de disruption mais aussi la viabilité économique qui se traduit par un taux de croissance durable et un taux de fidélisation des clients élevé », explique Philippe Hayat, qui a notamment investi dans Hopwork et Coorpacademy. « Coorpacademy répondait à toutes nos exigences. La société est en pointe sur le machine learning, et l’intelligence artificielle. Elle a de gros comptes du Cac 40 parmi ses clients et un taux de fidélisation deux fois supérieur à la moyenne du secteur », poursuit l’investisseur, qui a examiné une vingtaine de dossiers avant de jeter son dévolu sur l’entreprise fondée par Jean-Marc Tassetto, ancien directeur de SFR et Google France.
Du côté de Creadev, les critères déterminants sont les suivants : une entreprise pas trop jeune qui a fait ses preuves et une activité centrée sur l’humain. Pour le moment, le fonds, qui avoue du bout des lèvres avoir investi entre 50 et 100 millions dans la e-RH, s’est intéressé au secteur des Mooc et de la formation avec dans son portefeuille des entreprises comme Learning Tribes, Digischool, Yes&You ou encore Abilways, qui a déployé en septembre 2016 le premier Mooc francophone 100% mobile.
Point important, la e-RH n’est pas uniquement la chasse gardée des gros fonds et des géants du recrutement. Le marché est adapté aux investisseurs de toute taille. Au-delà des poids lourds tels que Serena Capital, Creadev, Isai ou encore Alven Capital, le secteur offre des opportunités intéressantes aux business angels qui n’ont pas besoin d’investir des millions pour espérer un retour sur investissement rapide. « Il est possible de faire de grandes choses avec un ticket d’entrée de 100 000 euros, ce qui n’est pas le cas dans des secteurs comme la fintech ou la foodtech qui sont beaucoup plus gourmands en capitaux », pointe Jeremy Lamri. Même son de cloche du côté de Chantal Toulas : « Ce n’est pas un secteur dans lequel il est indispensable de mettre beaucoup de cash au départ. Et il n’est pas forcément nécessaire de remettre la main au portefeuille régulièrement ».
De fait, le secteur fourmille de « petites levées » financées par des business angels. Citons par exemple EveryCheck, spécialiste de la vérification de références, qui a levé 200 000 euros le mois dernier ou encore Welcome To The Jungle, un spécialiste de la marque employeur, qui a réussi un tour de table de 2 millions d’euros auprès de quatre business angels en janvier.
« Creadev et Serena Capital comptent investir davantage dans la e-RH »
Les investisseurs interrogés ne comptent pas arrêter leur marché. « Pour Creadev, le secteur des RH est prioritaire. Nous sommes prêts à miser dessus et à ne plus nous limiter au e-learning ». Serena Capital compte lui aussi poursuivre ses efforts. « Fin 2016, nous avons créé le fonds Serena Data Venture. Il vise à investir 70 millions d’euros dans des entreprises spécialisées dans le traitement de la donnée. Des entreprises de e-RH pourraient donc être prochainement concernées », explique Philippe Hayat. La levée record de Talentsoft (25 millions d’euros en octobre 2015) pourrait ne pas tarder à être battue.
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