Il ne suffit pas d’avoir les meilleurs ingénieurs pour sortir le meilleur produit à base d’intelligence artificielle. Serena Capital explique au JDN ce qu’il faut pour le séduire.
L’IA est the next big thing, tous les fonds d’investissements et autres business angels veulent en être. Mais comment trouver la pépite, le futur Google de l’intelligence artificielle ? Pour le savoir, le JDN a interrogé les investisseurs sur leurs critères de recherche. « Nous misons sur des start-up dont le logiciel deviendra un must-have pour les clients d’une verticale donnée de l’économie, car il résout une problématique centrale. La création de valeur générée par un produit IA sur un an doit être au moins dix fois supérieure à la dépense consentie par l’acheteur, sinon nous ne signons pas », répond Amélie Faure, operating partner chez Serena Capital, qui a lancé en février 2017 un fonds d’investissement dédié à l’IA baptisé Serena Data Ventures. Cette nouvelle société de capital-risque a pour l’instant levé plus de 80 millions d’euros et gèrera ces actifs pendant au moins dix ans.
« Les jeunes pousses qui nous intéressent ont au minimum un vrai client », poursuit-elle. S’il est prêt à témoigner devant les potentiels investisseurs de la façon dont ce système de reconnaissance d’images ou autre a amélioré concrètement sa façon de travailler, de la valeur ajoutée qu’il en a tiré avec des chiffres précis, c’est un plus. Attention, un groupe qui teste de façon temporaire et à petite échelle une offre IA n’est pas un client à part entière.
« Nombre d’entreprises IA construisent des POC (proof of concept, ndlr) pour construire des POC, sans réfléchir à l’enjeu business qui se cache derrière pour elles et leurs partenaires. Les entrepreneurs avec lesquels nous voulons travailler doivent se poser deux questions avant de signer un contrat avec un donneur d’ordre pour une expérimentation : sur quels critères jugera-t-on que notre test est concluant ? Et si ledit test est un succès, quelle suite lui donnera avec ce grand groupe et à quelle échéance? Les start-up peuvent s’assurer que ces conditions seront bien respectées en signant un contrat en bonne et due forme, mais elles ne le font que rarement dans ce cadre. Ce n’est pas encore une pratique ancrée dans la culture entrepreneuriale tricolore », regrette l’investisseuse.
« La création de valeur générée par un produit IA sur un an doit être au moins dix fois supérieure à la dépense consentie par l’acheteur, sinon nous ne signons pas »
« Nombre d’entreprises IA construisent des POC (proof of concept, ndlr) pour construire des POC, sans réfléchir à l’enjeu business qui se cache derrière pour elles et leurs partenaires. Les entrepreneurs avec lesquels nous voulons travailler doivent se poser deux questions avant de signer un contrat avec un donneur d’ordre pour une expérimentation : sur quels critères jugera-t-on que notre test est concluant ? Et si ledit test est un succès, quelle suite lui donnera avec ce grand groupe et à quelle échéance? Les start-up peuvent s’assurer que ces conditions seront bien respectées en signant un contrat en bonne et due forme, mais elles ne le font que rarement dans ce cadre. Ce n’est pas encore une pratique ancrée dans la culture entrepreneuriale tricolore », regrette l’investisseuse.
Autre point, mieux vaut miser sur des structures qui ciblent des verticales de marché à fort potentiel. « La première vague de start-up à succès dans le secteur en Europe étaient des fintech, qui proposaient des logiciels IA aux banques. La deuxième, aujourd’hui en cours, concerne la mode. L’une des trois premières sociétés dans lesquelles Serena Data Ventures a investi s’appelle Heuritech et propose une solution de reconnaissance d’image pour les acteurs de ce domaine d’activité », détaille Amélie Faure.
Les start-up françaises de l’IA du secteur de la mode décollent car LVMH et autre Chanel sont des compagnies qui pèsent, avoir ces poids lourds comme première référence client est un gros plus
Pourquoi ces deux secteurs ? Ils ont les moyens de payer des outils informatiques rubis sur l’ongle pour résoudre leurs problèmes. Il est donc facile pour les start-up de trouver un business model solide. Mettre la main sur une jeune pousse prometteuse qui commercialise une offre destinée au monde agricole est plus difficile, car c’est un univers moins lucratif en Europe « à part dans le monde de la vigne », commente l’investisseur.
L’un des autres critères du fonds de capital-risque ? « Si nous décidons d’investir en France ou en Allemagne, nous misons sur des entreprises qui ciblent des secteurs dont les donneurs d’ordres sont des groupes français ou allemands. La fintech s’est développée en Europe car nous avons de grandes banques et que la City est un important pôle financier. Les start-up françaises de l’IA qui touchent au secteur de la mode décollent car LVMH et autre Chanel sont des compagnies tricolores qui pèsent. Avoir ces poids lourds comme première référence client peut leur permettre de convaincre plus facilement de nouvelles entreprises de signer des contrats. »
Une potentielle pépite de l’IA a également tout de suite un scope mondial. « C’est un enjeux fort. Dans ce secteur, il faut être prêt à passer à l’échelle rapidement et à commercialiser ses solutions à l’international, notamment aux Etats-Unis », souligne Amélie Faure. Investir dans une start-up qui préfère prendre son temps avant de se lancer dans le grand bain, c’est risquer qu’elle se fasse écraser par son équivalent américain, mécaniquement plus gros du fait de la taille de son marché de base. Miser sur une entreprise qui a déjà un gros client étranger peut notamment être un gage de cette volonté d’aller très vite se frotter à une clientèle internationale.
« Avant de signer un POC avec un donneur d’ordre, les entrepreneurs doivent se demander sur quels critères son succès sera jugé »
Pour trouver la perle rare, les investisseurs du marché de l’IA scannent aussi d’un œil aiguisé les équipes des start-up qui leur font des pitch. Le danger à éviter : miser sur une entreprise composée à 100% de data scientist et d’ingénieurs informatiques, qui font de la tech pour de la tech comme c’est souvent le cas dans ce secteur. « Nous cherchons des formations pluridisciplinaires, dotées au minimum d’un profil business. Si la structure n’a pas encore embauché de commerciaux, ce n’est pas un problème. Nos financements peuvent servir à recruter ces spécialistes. Mais l’équipe de départ doit avoir une culture centrée sur le besoin client », pointe la partenaire de Serena Capital, qui fait confiance à des sociétés de taille variable, allant de quatre ou cinq collaborateurs à une soixantaine.
Serena Data Ventures prévoit d’investir dans les entreprises repérées des sommes variables, allant de 300 000 à quatre ou même cinq millions d’euros, lorsque la start-up réalise son second ou troisième tour de table, quitte à proposer à sa maison mère Serena Capital de participer. « Mais la question la plus importante autour du financement, c’est la part de capital que l’on laisse aux entrepreneurs. La plupart des grands groupes qui mettent au pot dans le cadre d’un premier tour de table prennent 70 ou 80% des parts. Nous nous contentons en général de 25%. Nous pouvons aller jusqu’à 30, 35% dans certaines situations, mais nous laissons toujours la majorité des actions aux fondateurs. Sinon comment se rémunèrent-t-ils sur le risque pris ? » s’interroge Amélie Faure.
Article à lire sur http://www.journaldunet.com/web-tech/start-up/1196516-ia-ce-que-veulent-les-investisseurs/